Friday, December 2, 2011

Jours de colère, 1989

           Tout près du four se tenait Reinette-la-Grasse allongée sur  un banc, le buste légèrement soulevé. Son petit visage était tourné vers le feu, le regard tendu vers les flammes. Son regard était en fait plus perdu que tendu. Elle écarquillait es jolis yeux bleu pâle de poupée de porcelaine et l’éclat des flammes leur donnait la transparence et la luisance des larmes. Mais de larmes vides de toute émotion, qui ne jaillissent ni ne coulent. De douces larmes stagnantes. Un peu d’eau de pluie au creux d’un rocher. Des larmes de poupée. (…)
Femme à la poitrine nue- Auguste Renoir
         Elle était encore  un chemise et n’avait pas coiffé ses cheveux qui s’épandaient sur ses épaules et sur son dos jusqu’à ses reins en un long roulis brun cuivré irisé de reflets miel et roux. Sa chevelure se confondait avec les lueurs du four, une même mouvance s’y balançait, un même frisson les parcourait, un même flamboiement les illuminait. Sa chevelure semblait être  une matière en fusion, coulée de lave, de bronze et d’or.
      Et l’énorme corps de Reinette-la-Grasse vêtue d’une simple chemise de toile blanche, allongée avec mollesse sur le banc, était semblable aux boules de pâte reposant dans les panetons d’osier. Une pâte blanche et tendre, toute gonflée sous la fermentation du levain. Une peau blanche et douce toute tendue sous l’infinie éclosion de la chair. Et soudain Ephraïm vit Reinette-la-Grasse comme jamais encore  il ne l’avait vue. Il ne vit plus la grosse fille de la Ferme-du-Bout, mais une éblouissante divinité de la chair.

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